vendredi 31 octobre 2008

La banquière, le gendarme, la mama et le maître d’école

Ce matin, rendez-vous à la banque pour taper un peu dans le tas de mon salaire de maître d’école (en vacances). Si tu y vas de bonne heure, un peu avant l’ouverture, il y a moins la queue.
En attendant l’ouverture du bordel, je tourne à la recherche d’un café Touba. Passe un car Fram rempli d’excursionnistes mal réveillés. Je trouve le coin du petit déjeuner en bas d’un immeuble pas fini de construire. Autour d’une table conviviale et gérée par une mama énergique et attentive, cinq ou six hommes se restaurent : sandwich de petits pois enveloppé dans du papier journal, café au lait, café Touba. (Le café Touba n’est pas vraiment du café, c’est une boisson noire et sucrée aux arômes très proches de la perfection : je suis fan du café Touba.) La mama et son petit déjeuner ont l’air d’être une petite institution dans ce coin de quartier. Ce doit être bien de se retrouver chaque matin ici pour contenter son estomac et se tenir chaud. Vous savez qu’il commence à faire un peu froid le matin ? Vous savez qu’on met un petit pull le soir sur le scooter pour ne pas risquer de les enrhumer nos petits nez ? Maintenant, on est dans un bon petit été bien indien. Les ventilateurs sont éteints. Le ciel est bleu bleu bleu.
Je le bois sur le perron de la banque, en attendant qu’elle ouvre. Je lis une sorte de livre d’un dénommé Ferdinand Oyono qui s’appelle Une vie de boy et qui se passe en Guinée espagnole. J’aimerais bien aller en Guinée espagnole. Un gendarme vient pour toucher son salaire lui aussi. Il salue tout le monde. Il a un beau pantalon bien repassé et des lunettes de soleil qui ressemblent à celles des gars de Chips. Il est très sympathique. Il me dit : « Réveil de l’esprit par le livre, c’est très bien. » Puis il parle avec une dame à propos du petit matin où tout semble possible (comme avec les hommes politiques), puis du soir où avant de dormir on fait le point sur nos actes du jour écoulé, plein de déceptions, plein de regret. La dame lui dit : « Mais moi je suis très fière de certaines choses qui sont de mon fait ! » Et le gendarme : « Ah pas moi, je me couche chaque soir et quand je fais le bilan de ma journée je suis déçu et triste. Et quand viendra le grand bilan, avant le grand plongeon dans le grand sommeil, ce sera pire ! » Mais la dame : « Mais Monsieur vous représentez la loi, c’est déjà beaucoup ça ! » Et lui : « Oui, mais c’est que moi je voudrais plus, je voudrais être plus droit encore et plus généreux. » S’en suivent des considérations sur le courage requis pour garder le cap ici-bas, au milieu de tous ces tracas et de tous ces soucis dont notre vie se tisse, etc., quand la banque ouvre et alors je prends le ticket numéro 64.
Je monte chercher mon chéquier qui doit être arrivé, je le récupère et parle avec cette dame qui est la directrice de l’agence et qui a son gosse en 6° à l’école française. Elle me dit qu’elle attend plus de sévérité de la part du collège et de là une discussion sur les enfants quand ils deviennent adolescents, sur cette période sensible qu’on appelle puberté, etc., et j’ai l’impression d’être Françoise Dolto car étant enseignant la directrice est très à l’écoute de mes vues sur les duvets qui poussent en-dessous des nez, et sur l’esprit un peu rebelle des collégiens (et giennes). Elle me dit : « Mais vous, alors comme ça vous êtes vraiment enseignant ? » Et je lui explique que oui, je lui dis que si présentement je ne suis pas rasé c’est parce que ce sont les vacances, « mais dès lundi attention ! je lui dis, baguette, tableau noir et récitation des leçons. Attention ! » Et oui. Puis elle me demande commet j’ai connu le Sénégal et alors je lui parle du petit voyage de La Route des Roms ce qui fait que subitement la banquière, d’un coup, elle me demande de lui raconter une histoire. Comme je ne veux pas perdre mon tour qui est le numéro 64, je lui pose juste cette devinette rapide à laquelle beaucoup parmi vous ont déjà la réponse : « De la lune ou du soleil, quel est l’astre le plus précieux ? » Et je m’en vais chercher ma tune en me faisant un chèque à moi-même comme ça se fait ici. J’écris l’ordre : « à moi-même ! » (avec un point d’exclamation tellement c’est extraordinaire).
En tous cas, ce soir, à l’heure où le soleil laissera place à la lune, je me dirai que c’était encore une bien belle petite journée…

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