samedi 11 octobre 2008

Histoires merveilleuses d'un monde (décidément) merveilleux

Bonjour,
Je souhaiterais dans ce message vous faire part de quelques histoires entendues de la bouche de Nico et de celle de Sahar. Amandine vous a déjà parlé de Saar, qui est une libanaise mariée à un français, lui travaillant chez Kirène à Rufisque (eau minérale, jus, lait) et elle la secrétaire du collège où règne une ambiance qu’il faudra bien détailler un jour ou l’autre. C’est une secrétaire consciencieuse, une femme douce et attentionnée. Elle a prêté des recettes à Tante Mandine, elle nous a décrit les démarches pour obtenir la carte de résident, elle va nous prêter des petits supports métalliques pour faire tenir les serpentins d’encens qui font fuir les moustiques, des moustiques qui fuient mais pour mieux revenir au milieu de la nuit, insectes passés maîtres dans l’art de la lâcheté et de l’attaque surprise, saloperies de bêtes de merde et en effet du plomb dans l’aile pour le wonderfull world, mais du sang aussi, dans les trompes : ô joie d’en écraser un entre mes mains expertes, et clac, la paume rouge de ma main pour un cri de hourrah !, un de moins. Sahar n’a jamais vécu au Liban. Elle est née en Côte d’Ivoire. Quand il y a eu les événements là-bas, que les français n’étaient plus très bien vus et que la boîte du gars Laurent a quitté elle aussi, ils sont allés au Sénégal ; il faut savoir que la crise ivoirienne en a fait fuir pas mal, que Nescafé a immigré au Sénégal (pour un temps) et que Laurent a eu une opportunité ici à Rufisque. Sahar a connu son mari à Abidjan, ils ont eu des enfants et maintenant ils sont là et l’autre soir la discussion a versé sur les raisons de l’importante diaspora libanaise, notamment en Afrique : voici les faits : au début du 20° siècle Mesdames Messieurs, de nombreuses familles libanaises ont souhaité immigrer en Amérique ; le trajet se faisait en bateau mais passé le détroit de Gibraltar le bateau mettait cap au Sud, ni vu, ni connu, et les libanais débarquaient en Afrique de l’Ouest en croyant débarquer aux States –l’illusion devait durer le temps que le bateau reparte en chercher d’autres. Comme il n’y avait pas de téléphone ni de télé ni d’Internet ni rien, ils ne pouvaient pas dire aux futurs passagers qu’ils allaient se faire arnaquer. Voilà pourquoi il y a tant de libanais en Afrique de l’Ouest : à cause d’armateurs sans scrupules. Et il faut bien reconnaître que c’était tout bénef pour les bateaux, ça leur faisait moins loin. Des premières générations de migrants se sont donc installés en Afrique puis d’autres, par la suite –voyant que les affaires ne marchaient pas trop mal et cette fois-ci en sachant où ils mettaient les pieds– et aujourd’hui Sahar explique que les libanais ivoiriens sont issus de familles plus friqués que les libanais sénégalais car le prix du billet était fonction de la distance et voilà pourquoi aujourd’hui il y a une liaison aérienne Abidjan-Beyrouth et pas de Dakar-Beyrouth. L’actuelle génération, la quatrième ou la cinquième, n’a en général jamais mis les pieds au Liban.

Oh ! Quelle histoire merveilleuse, vous pensez, mais maintenant lisez ceci :

La famille de Sahar est une vraie auberge espagnole. Son frère est aux Antilles, il est mariée à une québécoise, sa sœur est aux Pays-Bas avec un allemand, et son troisième frère réside dans un pays d’Afrique dont j’ai oublié le nom. Les enfants de Sahar sont en France, l’un à Bordeaux l’autre à Paris. Tout ce monde ne se voit pas tellement mais la maman restée au Liban se rend chaque année dans l’un ou l’autre de ces lieux. Elle qui n’a jamais migré en profite pour voyager ! Un jour elle est allée en France par la ligne Beyrouth-Lyon, puis elle a pris un car jusqu’à Amsterdam et ça c’est Sahar et Laurent qui nous le racontent car ici, qu’ils soient français, libanais ou afghan, ils aiment tous raconter leur vie –si c’est souvent riche il y a parfois des digressions un peu longuettes. A Noël dernier, ils se sont tous retrouvés dans un chalet en Haute-Savoie. Ils avaient loué toute la structure réservée à la base pour des colonies de vacances ; ils ont fait des balades en raquettes, du parapente, de la luge et des tours de cuisine : chaque jour, l’un des couples préparait un truc de leur pays de cœur et apparemment ce fut un Noël merveilleux. Et vous pensez : oh ! quel appendice merveilleux à l’histoire merveilleuse de la diaspora libanaise ! Mais maintenant voyez ceci :


En décembre dernier, Nicolas est descendu au Sénégal en Renault 21. Il a pris le bateau à Sète, il a débarqué à Tanger (il avait son passeport) puis il a tracé la route jusqu’en Casamance. Plusieurs journées de route avec un dénommé Alain, un vieux brisquard, un vieil escroc de marin de routard un poil écorché. Alain et lui se sont trouvés sur Internet, se sont retrouvés à la gare SNCF de Sète et pendant tout le temps du voyage ils ont eu le temps de causer et de se raconter des histoires pas possibles, des histoires de pirates, de brisquards et de vieux routard un peu écorché. Alain est un marin. Il a retapé des bateaux, il a beaucoup fait la Méditerranée et il a fait l’Afrique ; en décembre dernier il descendait au Sénégal pour reprendre un business et créer ce qui partait pour être le nouveau vrai chantier naval de Dakar –il n’y en a pas apparemment en ce moment et il y a un truc à faire de ce côté pour les gens motivés. Alain braqua un jour un petit bar-tabac de campagne au fond d’une lointaine région française ; il fit cela armé d’un pistolet en plastique et habillé en bleu de travail. Il se tape le fond de caisse ; il repart sur sa mobylette après avoir mis le magot dans une caisse à outils fixée au porte-bagage ; sur la départementale il croise les flics avec leurs gyrophares mais comme il a son casque ils n’ont rien à redire les kisdés, et puis de toutes manières ils étaient sur les traces d’un dangereux braqueur de bar-tabac de France.
(Selon Nico, Alain n’était pas mythomane ; Nico m’assure être capable de reconnaître les mythomanes et les histoires d’Alain sont si incroyables qu’elles ne peuvent qu’être vraies – moi aussi je crois ça, je suis d’accord avec Nicolas.)
Une fois, en Méditerranée, Alain a navigué avec un troupeau de dauphins, et des dauphins ça danse et ça s’amuse avec les hommes (c’est pas comme les moustiques, les hannetons et les néphiles, un dauphin est un animal vertébré et intelligent, c’est un mammifère) et tout à coup ils se sont mis à barrer la route au bateau : l’équipage avait beau insister (car ils voulaient arriver à Marseille au matin), les dauphins insistaient et c’est avec insistance qu’ils barraient la route au bateau. Alain a dit : « Il faut écouter ce qu’ils veulent nous dire. » Ils ont changé de cap. Quand ils sont arrivés à Marseille, les gars de la capitainerie leurs ont dit qu’il y avait eu une très violente tempête sur leur cap initial. Fascinants dauphins...

Histoire de vieux brisquards, de marins écorchés…

Pour conclure (que d’histoires merveilleuses !) : savez-vous comme s’est passée la construction d’un navire vers Trinidad pour le compte d’un vieil enfoiré qui se faisait un yacht pour promener des salopes et boire du champagne ? Savez-vous comment ça se passe quand ce dénommé Alain et un collègue à lui retapent le yacht au black et qu’une fois le boulot terminé le gars leur dit : « Et maintenant dégagez » et il ne les paie pas ? Alain et son collègue quittent le port, l’air de se casser dégoûtés et de se casser pour de bon, et ils reviennent la nuit, ils plongent, accrochent des chaînes aux hélices du bateau, amarrent les chaînes à terre puis quittent le port à nouveau, cette fois ni vus, ni connus, et durant plusieurs mois ils naviguent sur les îles alentours (vers Trinidad –je ne sais pas où c’est Trinidad il faut que je pense à regarder ça sur une carte ou que je tape ce mot sur Kartoo, Google Earth, le Sans-Culotte 85). Quand ils reviennent, les chaumois leurs racontent cette histoire incroyable que le vieux salopard s’en allait pour promener ses putes et que crac !, trous, entrées d’eau, grosse avarie –le mec la queue entre les jambes comme le corniaud aveugle qu’il était. Ils rigolent, ils disent : « Non ?! C’est pas possible ! » Et le clébard retourne les voir, l’air gêné il leurs dit qu’il va avoir besoin de leur service et Alain et son pote ils disent que bon, OK, mais cette ils exigent une avance (« Transformer l’expérience en conscience » disait André Malraux, J.M.G. Le Clézio a eu le prix Nobel) et enfin ils disent : « Bon, ça, c’était pour le boulot de l’autre fois, maintenant, combien t’allonges pour qu’on te le remette sur pied ton vieux rafiot gros connard ? » Et voilà comment ils ont œuvré les deux brisquards. Nicolas a rencontré un sacré vieux brisquard au cours de ce voyage.
Il nous a montré des vidéos de son voyage à travers le Maroc et la Mauritanie avec lui (après 250 bornes Alain s’est rendu compte qu’il avait oublié son passeport dans sa veste restée dans la penderie d’une auberge du Sahara Occidental), j’essaierai de vous mettre le lien pour les voir ces vidéos si ça vous dit et ça, cette séance vidéo, c’était après avoir mangé de bonnes boulettes de lotte préparées par Adèle et Mandine (bonne cuisine sénégalaise) suivies d’une tarte aux bananes et aux pommes (pour la touche française) et d’un café Touba (excellent).
Que la terre vous soit légère et comme on dit en Bretagne :

"An hani ne vez ket joä doc'htoñ a-pa arriw a vez joä doc'htoñ a-pa y-â kuit"
(Celui qui ne fait pas plaisir en arrivant fait plaisir en partant !)

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