mardi 2 juin 2009

Bakatadji et Sénégal on TV

De retour du village dont nous avons tous, de près ou de loin et jusqu’au dégoût parfois, entendu parler : Bagatadji ! Celui qu’on prononce aussi Bakatadji, en mandingue, est un village après la piste de Missira, au cœur de la réserve nationale du Saloum, à quelques 40 kilomètres de la Gambie, à peine. 6 ou 7 familles mandingues l’habitent, le village a une école –que Janine a contribuée à mettre en place–, un chef de village, une toute petite mosquée, une minuscule case de santé mise en place par une ONG des Pays-Bas et toujours fermée, et trois instituteurs. C’est un village sans électricité, baigné par l’eau du Sine ou du Saloum (je ne sais jamais). Et nous sommes arrivés samedi en fin d’après-midi.

Rencontre avec Adrien et Christophe, deux jeunes cinéastes qui réalisent un documentaire sur la perception, par les villageois de Bagatadji, des politiques environnementales décidées en d’autres (hauts ? déconnectés ?) lieux. Visites de courtoisie aux familles, premiers échanges de politesse en langue mandingue. Les villageois vivent principalement de la pêche et de l’agriculture ; des cultures vivrières que les phacochères dérangent souvent, et l’interdiction de clôturer les espaces de cultures y est pour beaucoup, semble-t-il. Partout des manguiers gorgées de fruits. Il suffit de tendre la main pour se régaler ! Sommes-nous tombés au paradis terrestre ?
Les pommes de cajou sont aussi très présentes. Comme l’indique leur nom, ce sont des pommes, mais accolée en-dessous il y a aussi une petite gangue, et c’est elle qui délivre la noix succulente… On fait griller la noix dans son écorce et on mange. Quant à l’odeur de la pomme, si elle ne sert pas à des parfums ou des savons, en tous cas elle nous a rappelé Tahiti Douche et Yves Rocher.

Dimanche matin, nous partons nous promener avec Youssoufa, un jeune garçon d’une douzaine d’années, qui est le fils de Mamadou, l’instituteur des CP. Youssoufa suit le collège à Toubacouta, il est très gentil et très mûr pour son âge. A marée basse (nous sommes dans la mangrove baignée des superbes palétuviers), nous observons des singes se prélasser sur la terre que la mer retirée a libérée. Quelques zébus, quelques ruches, des traces de phacochères et de hyènes. Au retour, nous disons à Janine, restée à fumer à côté de sa case, que quand même des ruches il y en a (l’apiculture est un projet auquel elle tient beaucoup). Janine peste qu’il n’y en ait davantage. Elle regrette aussi que son campement écotouristique ne soit toujours pas opérationnel. Que le four à pain qu’elle a mis en place ne fonctionne pas. Que la machine à coudre qu’elle a emmenée ne soit guère utilisée… Nous hasardons l’idée que peut-être les habitants n’ont pas envie de cela… Difficile mise en place des bonnes idées toubabs ! Mais si on laissait chaque peuple décider lui-même de ses projets, de ses envies, de son organisation ? Si on leur foutait la paix ?
C’est un peu le thème, pour ce qu’on en a aperçu, du film de Christophe et Adrien. Une trentaine de printemps derrière eux, quelques études en anthropologie dans la même Université, à Bordeaux, quelques rencontres décisives (dont celle avec Janine par hasard à Nouakchott) et une même passion pour le documentaire, ont fait naître une belle amitié et les ont conduits ici à Bakatadji, dont ils connaissent presque tous les recoins, de même que les subtilités de la langue mandingue ne leur échappent plus ! Depuis trois ans, ils travaillent plusieurs mois par an au village. Ils ont crée une association : http://porteagauche.free.fr/ . Atterris au Sénégal un peu par hasard, ils y ont maintenant un petit réseau qui leur permet de réaliser des films institutionnels (alimentaires) qui leur apportent l’argent nécessaire à la poursuite de leur film sur Bakatadji.
Le film s’appellera sans doute "Fanabana" (L'équivalent mandingue de notre "Aide-toi et le ciel t'aidera"). Il se centre sur la vie quotidienne des habitants du village (à travers le regard de quelques personnages principaux) et s’attache à développer la façon dont ils perçoivent les actions des ONG et autres administrations sénégalaises sur leur milieu de vie. Tous les projets de développement en cours sur la réserve de biosphère ont un joli volet intitulé : « Aide au développement des populations locales ». Mais le documentaire devrait montrer que les villageois retirent fort peu de bénéfice de ces projets, que l’aide se perd en intermédiaires, en conférences bidons, et que le sacro-saint « écotourisme » est souvent brandi comme la solution miracle à tous les « retards » de développement… Ce week-end de la Pentecôte, Mamadou, l’instituteur des CP, n’a pas pu être très présent avec nous car en tant qu’écoguide il était tenu de participer à un séminaire de deux jours au poste de surveillance de la réserve. Christophe et Adrien se sont levés aux aurores pour filmer un ou deux discours bienséants puis ils ont été gentiment remerciés. C’est qu’on commence apparemment à comprendre le propos de leur documentaire… Dimanche après-midi, nous sommes allés nous baigner. Je crois que je n’avais jamais vu un endroit aussi beau. Seule la peur de rencontrer un petit caïman m’a empêché de sombrer totalement dans la contemplation béate, dans le troisième mode de connaissance spinoziste ! Des palétuviers immenses entouraient le bras de fleuve où nous nous baignions, n’est-ce pas, et l’on se dit que si la Casamance c’est comme cela, partout, alors il n’y a qu’une chose à faire : aller là-bas !
Au retour, j’assiste à la préparation d’une séquence du documentaire sur le retour d’un villageois convié au Séminaire. L’objectif de Christophe et Adrien : arriver à lui faire dire qu’il a reçu un petit « perdiem » (un peu de flooze quoi) pour avoir bien voulu assister à la réunion bidon. Lui qui à peine revenu de cette conférence file sécher du poisson à Missira pour toute la nuit a en effet bien d’autres chats à fouetter que des problématiques écotouristiques… On en vient donc à payer les villageois pour leur participation à ces réunions, histoire de chanter un petit air de « démocratie participative » aux très altruistes et motivées ONG.
Mais je caricature…, et ce n’est certainement pas en deux jours qu’on peut comprendre tout ce qui se joue là-bas mais tout ça pour vous dire que je suis impatient de voir ce documentaire qui devrait tourner en festival en France en 2010 et être diffusé sur TV5 Monde et RFO également en 2010, et s’ils en sont à leur sixième mois de tournage après toute une année de repérage et deux bons semestres d’écriture, c’est bien que la situation est complexe ! Donc, ne caricaturons pas… Sur le site de "Troisième porte", vous pouvez voir un « teaser » du documentaire, comme on dit dans le jargon.
Très intéressant aussi de discuter avec Adrien et Christophe sur la manière dont évolue leur travail au fil des mois ; comment ils s’interdisent moins qu’avant le recours à une certaine « mise en scène », alors qu’ils la refusaient absolument au début –mais elle semble possible maintenant, et c’est sans doute parce qu’ils ont beaucoup de respect pour ceux qu’ils filment et ils ont obtenu la confiance des villageois et ils ne filment plus des découvertes mais des choses qu’ils connaissent bien désormais, des choses qu’ils ont beaucoup pratiquées et encore une fois leur connaissance du mandingue est ahurissante. Chapeau bas ! Vivement le film !

Enfin, dans un autre style, la chaîne M6 a proposé la semaine dernière une « enquête exclusive » modestement intitulée « Confrérie Mouride. La multinationale des vendeurs à la sauvette ». Du grand reportage ma foi. Les sénégalais qui vendent des tours Eiffel en plastique au Trocadéro sont donc les dangereux disciples d’un groupuscule sectaire ultrapuissant : les vilains Mourides. M6 s’attache à montrer le scandale que représente leur système d’entraide et communautaire. Le scandale qu’il y a à organiser une quête après la prière. Bref, si M6 avait eu comme objectif de cultiver la peur et l’ignorance, elle ne s’y serait pas prise autrement. Raccourcis faciles, traductions orientées (comme le Dieuredief Serine Touba qui devient « Gloire à notre prophète… »), images-choc souvent sorties de tout contexte, recours à la caméra cachée, bref du grand M6 (on a regardé cette émission sur Daily Motion : http://tak.00221.info/M6-vendeurs-mourides ) Bien sûr que le statut de la ville de Touba est ambigu, que le lien entre les grands marabouts et le pouvoir est très obscur, que leur influence sur la vie politique et la vie des gens est énorme, mais on pourrait espérer de la part de gens qui se disent journalistes, davantage d’objectivité, un désir de plus comprendre avant que de juger… D’autant que tout ce que M6 n’arrive pas à montrer en image, c’est la voix off qui s’en charge…

Pour finir, il n’y a pas de photos de notre merveilleux week-end en brousse parce qu'on avait oublié de recharger l’appareil photo. On espère que vous allez tous bien et que nous vous manquons parce que vous, vous nous manquez ! A bientôt !

3 commentaires:

felix a dit…

Salut Amandine et Mathieu,
Cela fait toujours plaisir d'avoir de vos nouvelles, car vous nous manquez depuis l'autre jour !
Vos articles donnent envie de retourner au Sénégal : ils sont instructifs et intéressants, et marrants des fois aussi.
Je vous embrasse bien fort depuis l'Andalousie et comme d´hab' : portez vous bien vous êtes mes sénégaulois préférés au monde, on se voit en juillet ?
Bonjour à Adama, Cara, Nico et ses belles, et Jeanine of course !
Hasta luego Mateo y Amandina,
Mateo t'hésites pas à blogger chez Courbe(s)
Salut

biron's family a dit…

biensûr vous nous manquez! gros bisous et bonnes découvertes, quel plaisir de vous lire

Père Thierry a dit…

Ouais, encore et toujours cette notion de "village" avant même de parler de communauté.
Bribes d'une discussion forte intéressante, hier, avec Yannick Jaulin, sur le patois, l'humanité, l'universel et le droit de chacun de disposer ou non de son territoire, de sa mémoire, de son passé et de son avenir, un peu comme à Bagatadji : "Si tu veux parler d'universel, parle de ton village" ou encore "Si tu veux parler d'universel, parle de l'intime" et ma préférée : "On porte tous un village en soi, c'est notre force et en même temps c'est une solution de facilité"...
Alors merci à vous deux de nous balader de village en village, de nous parler d'universel et d'intime à la fois. Merci à Adrien et Christophe que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam mais qui contribueront sûrement à faire avancer ces notions d'humanité. Et puis, que dire de M6, si ce n'est que ce sont ces émissions-là les vrais charlatans de notre époque dite moderne.
A plus dans l'bus et à très vite.
Des bises.